Gaza
« We did what we could »
Une exposition de Médecins Sans Frontières
“We did what we could” retrace les douze premiers mois de la guerre
menée par Israël dans la bande de Gaza, en riposte aux massacres perpétrés par le Hamas à partir du 7
octobre 2023. Ce projet multimédia vise à donner un aperçu du siège, des bombardements et des attaques
incessantes sur la population gazaouie et sur les soignants, en première ligne de ce conflit, de la
destruction de Gaza et de son tissu social,
ainsi que ses conséquences pour la population. Les chiffres
et
informations contenus dans l’exposition couvrent exclusivement la période comprise entre le 7 octobre 2023
et le 7 octobre 2024.
L'exposition “We did what we could” a été coproduite
avec le Prix Bayeux Calvados-Normandie des
correspondants de
guerre,
où elle a été initialement présentée en octobre 2024.
Elle a été conçue par Clothilde Mraffko et MSF,
avec le soutien de l’Agence France Presse.
- Production
- Médecins Sans Frontières
Prix Bayeux Calvados-Normandie
des correspondants de guerre - Commissariat d'exposition
- Clothilde Mraffko
- Conception artistique
- Aurélie Baumel
- Textes
- Andrea Bussotti, Assia Shihab
- Photographies
- Mohammed Abed/AFP, CICR, Jack Guez/AFP,
Ali Jadallah/Anadolu via AFP, Karin Huster, MSF,
Eyad Baba/AFP, Omar Al-Qattaa/AFP,
Mahmud Hams/AFP, Ben Milpas, Bashar Taleb/AFP - Montage vidéo
- Loïc Adrien, Gabrielle Floquet

Le 7 octobre 2023, les massacres commis par le Hamas et les combattants palestiniens font 1199 morts côté
israélien* ; 251 otages sont capturés dont une centaine sont toujours en captivité aujourd’hui.
Depuis,
Gaza
est au cœur de l’actualité internationale. Pourtant Israël interdit à la presse étrangère d’y accéder. La
petite enclave côtière palestinienne, mince bande de sable grande comme l’agglomération de Caen, est coupée
du monde. Les journalistes palestiniens et les humanitaires, dont les employés de
MSF, sont donc parmi les rares à pouvoir témoigner du siège, des bombardements israéliens, des attaques et
de l’horreur du quotidien à Gaza.
Plus de 41 000 Palestiniens y ont été tués.
“We did what we could” décrypte la situation à Gaza, à travers le regard du personnel de MSF et de photographes de l’AFP, dont Mohammed Abed, un Gazaoui qui documente les activités de l’ONG depuis 2019.
Plus de 270 humanitaires ont été tués depuis le 7 octobre 2023 à Gaza. Une
grande partie des institutions se
sont effondrées dans l’enclave palestinienne : Israël a promis de détruire le Hamas qui gouverne Gaza. Les
Nations-Unies, et notamment l’UNRWA, parent au plus urgent mais ne peuvent remplacer un gouvernement et des
administrations locales.
Le rôle des humanitaires est donc crucial sur place. Leur soutien aux civils,
vital, est forcément insuffisant du fait des restrictions israéliennes et de la violence inouïe des attaques
de l’armée qui affectent les Gazaouis de manière indiscriminée.
La plupart des employés de MSF dans l’enclave sont Palestiniens.
Eux aussi sont donc pris dans la
guerre,
avec leurs proches et leurs voisins. Six membres de l’organisation, tous Gazaouis, ont été tués depuis le 7
octobre 2023. Les soignants sont parfois davantage exposés car ils sont en première ligne dans la guerre
totale que mène Israël contre les hôpitaux et les structures civiles à Gaza - l’armée israélienne vise
particulièrement les structures de santé, affirmant que des combattants s’y cachent. Les soignants, malgré
l’épuisement, traitent au quotidien les victimes des bombardements aveugles et des combats, dont de nombreux
enfants. Les blessures sont nombreuses et complexes ; le matériel manque. À ces blessés s’ajoutent les
malades chroniques et ceux qui souffrent des conditions d’hygiène terribles.
Les témoignages et les photos que vous allez découvrir sont exceptionnels. Ils ont
été recueillis dans des
conditions dantesques : lors des afflux de blessés, des sièges des hôpitaux, par des soignants qui luttent
contre la faim, la peur, l’épuisement, la douleur d’avoir perdu des êtres chers. Faute de connexion
internet
- Israël coupe régulièrement les télécommunications en plus de priver l’enclave d’électricité - la plupart
de leurs récits ont été envoyés dans des messages vocaux enregistrés, les vidéos mettant trop de temps à
charger. Ces audios sont des documents historiques, notamment du fait du blocus médiatique imposé aux
reporters internationaux. Quelque 120 journalistes et professionnels des
médias gazaouis ont été tués dans
l’enclave, selon un décompte publié
le 1er août 2024 par Reporters sans frontières.
* Décompte de l’Agence France-Presse à partir de sources officielles israéliennes qui prend en compte les personnes prises en otage le 7 octobre 2023 et dont la mort a été confirmée
MSF s’appuie sur les chiffres du ministère de la Santé palestinien tels que repris par l’ONU pour le
nombre de morts et de blessés à Gaza. Il n’existe pas d’autres sources fiables aujourd’hui. Face à la
polémique autour de ce décompte, le ministère de la Santé a publié une note expliquant que les chiffres
sont certifiés par ses fonctionnaires à Ramallah qui, eux, relèvent de l’Autorité palestinienne. Il a
par ailleurs publié une liste avec des milliers de défunts, sur laquelle une grande partie sont
identifiés via leur numéro d’identité.
Pour rappel, Israël contrôle la délivrance des papiers d’identité des Palestiniens en tant que puissance
occupante - les Israéliens peuvent donc vérifier aisément ces chiffres. Enfin, lors des guerres
précédentes, les statistiques du ministère de la santé à Gaza se sont révélées proches de celles des
autorités israéliennes. Le nombre de décès est probablement sous-estimé aujourd’hui,
en raison d’un
grand nombre de disparus et de corps qui n’ont pas été retirés des décombres.
Douze mois d’errance
Ordres d’évacuations et déplacements forcés

La ville de Rafah, tout au sud de la bande de Gaza, comptait 270 000 habitants avant la guerre. Elle a
accueilli jusqu’à près d’un million et demi de personnes
au début de l’année 2024, l’armée
israélienne
poussant les Gazaouis toujours
plus au sud.
Avant qu’Israël ne lance son offensive contre
Rafah début
mai, les déplacés
y occupaient donc le moindre espace disponible, comme on le voit sur cette photo
d’une plage près de la frontière égyptienne, prise le 16 janvier 2024. Sortir de l’enclave était déjà
quasi-impossible : l’Egypte, craignant un afflux de réfugiés palestiniens qui ne seraient ensuite
jamais autorisés à rentrer chez eux, avait verrouillé sa frontière.
Les alignements des tentes de déplacés ont réveillé un traumatisme majeur de la psyché palestinienne : celui de la Nakba - la “catastrophe”, de 1948. Un peu avant et après la création d’Israël, entre 700 et 900 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux. Beaucoup se sont retrouvés en Cisjordanie, à Gaza, dans des pays limitrophes, entassés dans des camps de réfugiés semblables à celui qui figure sur cette photo, construit par le Comité international de la Croix rouge à Gaza. Dans l’enclave palestinienne, 70% de la population a le statut de réfugié ; beaucoup ont des ancêtres qui vivaient juste derrière la barrière, dans ce qui est aujourd’hui appelé en Israël “l’enveloppe de Gaza”, cible des attaques du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023.


En raison du siège imposé par Israël, faute de gaz de cuisine disponible,
les déplacés se
chauffent et
font à manger en brûlant du bois, des meubles
ou des ordures. L’air est saturé d’une épaisse fumée
qui
se mêle à celle des bombardements israéliens. Les maladies respiratoires sont en forte augmentation.

Les déplacés, qui vivaient pour certains dans le confort de vastes appartements
à Gaza ville, sont
obligés de partager leurs latrines avec des centaines d’autres personnes. Ils n’ont pas accès à l’eau
courante, les ordures se mêlent à la boue
à la moindre averse. Les femmes n’ont aucune intimité,
elles
sont constamment habillées et voilées. Ici, une Palestinienne prépare un repas de rupture du jeûne
pendant le premier jour de Ramadan à Rafah, le 11 mars 2024.
Les tentes de fortune ont été érigées un peu partout dans le sud de la bande
de Gaza, construites
avec
des bâtons de bois et des bâches de plastique qui se négocient à prix d’or. L’eau s’y infiltre l’hiver
et elles se transforment en four l’été.
Ici, à Rafah, le 10 avril 2024, lors du premier jour de la
fête de l’Eid al-Fitr, qui marque la fin du Ramadan.

Qui, parmi les 2,3 millions de Palestiniens qui vivent à Gaza, n’a pas été déplacé pendant la guerre ?
Parfois, ce n’est qu’un transfert temporaire,
le temps que les combats cessent dans un quartier. Les
plus
“chanceux” ont trouvé refuge chez des proches, ils ont un toit. L’ONU estime
qu’environ 90 % des Gazaouis
sont désormais des déplacés internes. Certains ont été déplacés plus d’une dizaine de fois depuis
octobre
2023. Lors du seul mois de mai 2024, après l’attaque à Rafah, près d’un million de personnes
avaient été
déplacées dans le nord et le sud de l’enclave.
Peu avant un bombardement, mais pas systématiquement, l’armée lance un ordre d’évacuation, via des tracts
largués par avions, des sms ou les réseaux sociaux. Il faut alors se décider, vite. Rester, pour celles
qui viennent d’accoucher, les familles qui ont des enfants en bas âge, qui n’ont nulle part où aller, pour
les malades chroniques qui se savent à proximité d’aidants ou pour les plus âgés. D’autres choisissent de
fuir, mais où ? Beaucoup choisissent de se réfugier d’abord dans des hôpitaux ou des écoles, espérant y
trouver un peu plus de sécurité. Mais ces endroits ont aussi été visés par des attaques israéliennes et
sont devenus des champs de bataille. Environ 70 % des écoles de l’UNRWA, l’agence
en charge
des réfugiés palestiniens qui est devenue la principale institution
qui gère les
déplacés internes gazaouis, ont été bombardées
depuis le début de la guerre.
Mi-octobre 2023, l’armée israélienne a désigné Al-Mawasi, terrain de sable largement inhabité avant la
guerre à l’est de Khan Younès et Rafah, dans le sud, comme une “zone humanitaire” supposée être sûre et
vers laquelle elle a encouragé les déplacés à s’installer, malgré le manque d’infrastructures.
Cette “zone humanitaire” s’est rétrécie au gré des ordres d’évacuation et elle a été la cible de
bombardements israéliens. Une attaque le 13 juillet y a tué
90 Palestiniens et fait 300 blessés selon le
ministère de la Santé local.
Le 20 février, un tank israélien a tiré sur une maison abritant des membres de MSF et leurs familles. Deux
personnes sont mortes, six autres ont été blessées dans cette attaque.

L’injonction tombe du ciel, sous la forme de tracts ordonnant d’évacuer la zone. Très souvent, les Gazaouis n’ont pas d’autres indications : aucune route n’est sécurisée pour fuir les zones menacées et les bombardements risquent de commencer à tout moment.

Ces déplacements massifs et arbitraires ont créé une crise humanitaire sans précédent.
En décembre 2023, juste après la fin de la seule, courte trêve négociée jusqu’ici, les Gazaouis reçoivent
des tracts d’évacuation sur lesquels est imprimé un QR code. Ce dernier renvoie à une carte : l’armée
israélienne a divisé l’enclave en centaines de petites zones portant chacune un numéro. Depuis, quand elle
ordonne une évacuation,
elle publie une série de numéros qui correspondent aux blocs concernés. Mi-août
2024, environ 84% du territoire de la bande de Gaza était sous le coup d’ordres d’évacuation de l’armée
israélienne.
Les organisations humanitaires et les Gazaouis le répètent : aucun endroit n’est sûr
pour les civils dans l’enclave. Parfois, l’armée israélienne fait précéder ses bombardements d’une frappe
qui sert à avertir les habitants qui doivent fuir sur le champ. Parfois, les bombes sont larguées sans
alerte. D’autres fois, les militaires appellent l’un des résidents d’un immeuble qui doit vite réunir ses
voisins. Certaines fois, l’armée israélienne ordonne d’évacuer un bâtiment mais c’est celui d’à côté
qui
est finalement bombardé.

Faute de carburant, qui manque à Gaza en raison du siège israélien, beaucoup fuient à pied. Certains
ont trafiqué leurs voitures pour qu’elles fonctionnent avec de l’huile de cuisson usagée, dégageant
une épaisse fumée toxique. Les ânes et les charrettes servent à transporter des affaires, ceux qui ne
peuvent pas marcher,
les blessés vers les hôpitaux…

Pour les déplacés, il a fallu faire rentrer toute une vie dans quelques baluchons. Beaucoup avaient
déjà sous la main un sac avec les documents d’identité,
les diplômes… Un réflexe hérité des
guerres
précédentes - Gaza en a subi quatre entre 2008 et 2021, en plus d’être régulièrement bombardée. La
plupart des Gazaouis savent que lorsqu’ils rentreront, leur maison ne sera probablement plus debout.
LES BLESSURES DE LA GUERRE
Les hôpitaux, lieux de soins et de refuge

Juste après un bombardement, les équipes de la défense civile palestinienne et du Croissant rouge sont les
premières sur place pour secourir les blessés
et fouiller les décombres à la recherche de survivants.
Sans
matériel, alors que les bulldozers manquent, sous les bombes, leur tâche est titanesque.
Israël vise
régulièrement des ambulances en disant cibler des objectifs militaires. Les régulières coupures de
télécommunications retardent les opérations, parfois il n’y a plus d’essence pour faire rouler les véhicules de secours.
Sur cette photo, un secouriste de la défense civile palestinienne tente de réanimer une personne blessée
lors d’une attaque israélienne
le 16 octobre 2023 sur le parvis de l’hôpital Al-Shifa, le plus grand
de
l’enclave.
Cette institution, ville dans la ville, a été attaquée par Israël en novembre 2023 et en
mars 2024 : l’armée affirme que le Hamas et le Jihad islamique l’utilisaient comme base opérationnelle. Lors
de l’assaut ce printemps,
une vingtaine de patients sont morts faute de soins selon l’OMS. Le bâtiment
principal a été incendié et l’hôpital largement détruit.
Il est aujourd’hui à nouveau partiellement
fonctionnel, mais n’est plus que l’ombre de ce qu’il était.
Le ministère de la Santé palestinien a recensé plus de 90 000 blessés depuis
le 7 octobre 2023 à Gaza. Ce
nombre est exceptionnellement élevé; il s’explique par l’intensité des bombardements qui touchent
l’ensemble de l’étroit territoire de Gaza, densément peuplé
et où la population n’a aucun échappatoire
possible. Les femmes
et les enfants représentent plus de la moitié des victimes selon l'OMS.
En
juillet
2024, toujours l’OMS estimait qu’au moins 14 000 personnes
- blessées ou malades - nécessitaient une
prise
en charge médicale en dehors de Gaza, faute de traitements adéquats disponibles dans l’enclave. Mais les
évacuations médicales se font au compte-goutte.
MSF a l’habitude de pratiquer la médecine dans des contextes précaires.
À Gaza pourtant, le personnel médical est confronté à des situations
d’une gravité rare. Les rares
hôpitaux encore fonctionnels sont totalement submergés par les afflux massifs de blessés après chaque
offensive israélienne. Le matériel médical manque en raison du siège. Les soignants racontent avoir dû
pratiquer des césariennes ou des amputations, parfois sur des enfants, sous légère sédation ou en ayant
recours à des antidouleurs, faute d’anesthésiant disponible. Le système de santé gazaoui, déjà affaibli
par plus de seize ans de blocus avant la guerre,
s’est effondré. Seuls 1,500
lits
d’hôpitaux étaient
disponibles à Gaza en septembre 2024. A titre de comparaison, Paris, qui a la même population que
l’enclave, dispose de huit fois plus de lits.

Le 8 juin 2024, pour couvrir l’opération de sauvetage de quatre otages israéliens, l’armée israélienne a mené
une attaque d’ampleur dans le centre de la bande de Gaza, à Nousseirat. Le ministère de la Santé local a
annoncé
274 personnes tuées. Des centaines de patients sont arrivés à l’hôpital Al Aqsa à Deir al
Balah,
certains soignés à même le sol faute de lits disponibles.
C’était le chaos total dans les urgences, aggravé par ces derniers jours de bombardements intenses et plusieurs afflux massifs de blessés.
Des enfants complètement gris ou blancs à cause du choc, brûlés, appelant leurs parents, d’autres ne pouvant pas crier parce qu'ils sont en état de choc… Rien, absolument rien ne justifie ce que j'ai vu

Depuis que l’électricité a été coupée le 11 octobre 2023 à Gaza, les hôpitaux
dépendent entièrement de groupes électrogènes pour fonctionner.
Les systèmes électriques étant sous
tension et le fuel rationné, les coupures
de courant sont fréquentes, y compris dans les salles
d’opération, comme ici
à l’hôpital Nasser fin novembre 2023. Surprise par une panne, l’équipe médicale
du
bloc utilise la lumière de téléphones portables pour remplacer la lampe scialytique, pendant qu’un
chirurgien de MSF opère un adolescent blessé par un éclat d’obus.
Les patients que j’ai vus pendant cette guerre sont différents de ceux des guerres précédentes. La plupart souffrent de brûlures profondes et d’éclats d’obus. Beaucoup ont perdu des membres ou ont des blessures infectées.
Je n’oublierai jamais l’odeur de l’infection - on dirait de la mauvaise huile.
Pascale Coissard Rogeret, coordinatrice d’urgence de MSF
à Gaza, témoignait en janvier dernier
de la
situation des femmes en post-partum à l’hôpital émirati de Rafah.
Sans cette guerre, elle n’aurait pas perdu son fils.
Témoignage du Docteur Obeid, chirurgien de MSF à Gaza.
Nous manquons de matériel. Nous avons donc amputé sous légère sédation.
Aux difficultés de prise en charge s'ajoutent les épreuves personnelles auxquelles sont confrontés les
quelque 400 employés de MSF à Gaza.
La plupart ont été déplacés, certains vivent sous des tentes,
leurs
maisons ont été détruites et ils ont perdu tout ce qu’ils possédaient.
Comme l’ensemble des Gazaouis,
ils
souffrent d’anxiété, de dépression
et d’insomnie. Malgré l’épuisement et la terreur permanente de
perdre
leurs proches, beaucoup ont choisi de continuer à soigner leurs compatriotes dans les structures de santé
qui sont encore à peu près fonctionnelles.

Les soignants à Gaza, touchés comme les autres par la guerre et les bombardements, la faim et les déplacements, travaillent depuis octobre 2023 sans répit, sept jours sur sept. En décembre 2023, de retour de mission après un mois sur place, la coordinatrice d’urgence MSF Marie-Aure Perreaut Revial évoquait des collègues qui travaillaient au bloc opératoire jusqu’à une ou deux heures du matin, chaque jour. « Ils sont au-delà de l’épuisement », résumait-elle.
Au chaos des afflux de blessés s’ajoute celui des déplacés qui espèrent trouver refuge dans les hôpitaux
après que leur maison a été bombardée ou de crainte qu’elle ne le soit bientôt. Fin janvier, par exemple,
MSF estimait que quelque 50 000 déplacés avaient trouvé refuge dans l’hôpital Al Shifa, dans la ville de
Gaza. Parfois, les familles accompagnent un blessé et restent une fois la prise en charge terminée. Ici,
des déplacés dans les couloirs de l’hôpital Al Aqsa dans le centre de Gaza,
en novembre 2023.
Dessine-moi la guerre
Les enfants dans le conflit

Les enfants représentent environ la moitié de la population gazaouie.
À partir des chiffres du
ministère
de la Santé palestinien, l’Unicef estime qu’un enfant est tué ou blessé toutes les
dix minutes à Gaza.
L’enclave palestinienne est devenue l'endroit le plus dangereux au monde pour les enfants.
Les soignants ont signalé un grand nombre de patients très jeunes qui souffrent de blessures délabrantes -
c’est-à-dire
des plaies qui ont largement détruit les tissus -, qui ont eu
des membres arrachés,
des
fractures complexes. Les enfants qui survivent aux bombardements risquent de mourir plus tard
de
complications, du fait des conditions d’hygiène et des moyens limités dans les hôpitaux. Beaucoup
resteront handicapés à vie et auront besoin d’un suivi régulier et complexe.
Aux blessures physiques s’ajoutent de lourds traumatismes. Les psychologues de MSF relèvent des symptômes
de dépression, des réactions aiguës au stress, chez des enfants qui ont tout perdu. Certains
manifestent
même l’envie
de mourir. Ces blessures mentales sont sans cesse réactivées
en l’absence d’un
cessez-le-feu.

Les enfants gazaouis n'ont plus de routine depuis un an. Ils ne vont plus
à l'école, les
établissements
scolaires ont été détruits ou transformés
en abris pour réfugiés. Ils ont perdu leur maison, leur
quartier, leurs amis du voisinage, leurs repères et leurs jouets. La grande majorité d’entre eux a vécu
plusieurs déplacements, toute sensation de “normalité” a disparu depuis longtemps, aggravant leurs
traumatismes.

Les enfants, comme dans chaque guerre, endossent des responsabilités
qui ne sont pas de leur âge. Des
aînés s'occupent de leurs frères et sœurs
après la mort de leurs parents. Des enfants vendent sur les
marchés des boîtes de conserve de l'aide alimentaire pour acheter d'autres biens de première nécessité
et
beaucoup sont chargés de ramener des bidons d'eau,
parcourant de longues distances.

WCNSF est l’acronyme de l’expression “Wounded child,
no surviving family” qu’on peut traduire en
français
par “enfant blessé, pas de famille survivante”. Il apparaît une semaine seulement après le début des
bombardements israéliens sur la bande de Gaza, alors que les humanitaires cherchent à rendre compte de
l’afflux inédit d’orphelins dans les hôpitaux gazaouis. Certains de ces enfants sont difficiles à
identifier : ils arrivent inconscients à l’hôpital ou parfois, ils sont tout simplement trop petits pour
connaître leur nom. Les parents se sont mis à écrire le nom des enfants sur leurs corps pour qu'ils
puissent être identifiés en cas de bombardement.
En s’appuyant sur des calculs statistiques, les experts des Nations unies estiment qu’au moins 19 000
enfants gazaouis seraient devenus orphelins. Ils survivent soit avec des proches
ou des
tuteurs,
soit sont
livrés à eux-mêmes. À Gaza, les familles vivent souvent dans le même immeuble, chaque génération
se
partageant les étages. Les bombes israéliennes, en rasant
les habitations, ont décimé des lignées
entières.
Les enfants sont les plus affectés parce qu’ils n’ont pas toujours la capacité d’expliquer ce qui leur arrive.
Ces dessins ont été réalisés
par des enfants de moins de 15 ans à l’hôpital Shuhada al-Aqsa à
Deir
el Balah
et collectés par les psychologues
de MSF entre novembre 2023 et mai 2024.

« Au-delà de la violence dévastatrice que le dessin dépeint, il y a deux mondes.
Un monde jaune,
avec
de belles maisons et un soleil radieux. Et un monde rouge, avec des parties de corps démantelées,
mises en pièces. Comme un besoin de purger quelque chose d'une réalité profondément douloureuse,
trop
blessante pour être contenue dans l'esprit et le cœur d'un enfant. Et bien que nous voyions les
missiles tomber du ciel, ce qui est également frappant, ce ne sont pas les maisons qui sont
détruites,
mais les corps. C'est une réalité qu'il est impossible d'imaginer pour un enfant de cet âge. C'est
comme s'il y avait un avant et un après dans ce dessin. Le monde du soleil, où la couleur choisie est
le jaune, une couleur de lumière, de joie. Et puis l'attaque. Et un monde qui devient vraiment
chaotique. Un monde où les corps humains sont en quelque sorte réduits à l'état d'objets et
peuvent
être démontés comme on le ferait avec une marionnette ou une poupée.
C'est assez effrayant ».
Audrey McMahon, psychiatre MSF
Traumatisme(s)
Les soignants face à la souffrance psychologique
Témoignages du Dr Abou Abed Moughaisib, responsable des activités médicales MSF à Gaza, d’une soignante*
MSF, et d'Audrey Mc Mahon, psychologue MSF basée à Jérusalem.
Ils décrivent l’impact du conflit sur la santé mentale des gazouis.
* le nom a été omis pour des raisons de sécurité
Le plus difficile est d’entendre votre petite fille de moins de trois ans vous demander : « Maman, la maison a été bombardée? Maman, je veux rentrer chez moi. Maman, quel est ce bruit ? » Une petite fille qui sait faire la différence entre le son d'un hélicoptère Apache et celui d'un hélicoptère F 16.
J'étais très stressé à l'idée de les garder près de moi. Mes fils sont grands. Ce sont deux adultes. Mais j'agissais comme s'ils avaient cinq ou six ans. À un moment donné, j'ai senti que j'allais les perdre, que leur identité et leur personnalité ne seraient plus les mêmes.
Souvent, à cause des bombardements ou de l'insécurité, le personnel médical a dû laisser des patients derrière eux. Et beaucoup d'entre eux partagent un sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir faire plus.
POINTS DE PASSAGE
Restrictions de circulation et pénurie organisée
En 2007, à l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza, Israël soumet l’enclave palestinienne à un strict blocus
terrestre, maritime et aérien. Les tunnels
de contrebande vers l’Egypte, qui avaient permis le
développement
d’une économie parallèle contournant le blocus, ont été détruits après le coup d’Etat du
maréchal Al-Sissi en 2013. Depuis 1967, aux yeux du droit international, Israël est la puissance occupante
à Gaza, même après
le retrait des colons israéliens en 2005. Les Israéliens
contrôlent ce qui entre et
sort de l’enclave, surveillent ses cieux via des drones qui survolent
en permanence le petit
territoire - sans compter les opérations militaires
que l’armée y mène régulièrement.
Le 9 octobre 2023, deux jours après l’attaque du Hamas en Israël,
le ministre de la Défense israélien,
Yoav Gallant, annonce un siège complet de l’enclave : « Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture,
pas de carburant, tout est fermé ». Cette déclaration a été relevée
par la Cour Internationale
de Justice
dans le cadre de la plainte déposée
par l’Afrique du Sud. Israël y est accusé de génocide.
Le siège total a duré 15 jours. Le 21 octobre, les premiers camions humanitaires sont autorisés à entrer
dans la bande de Gaza. L’ONU
et les ONG ont déjà épuisé des stocks vitaux pour faire face aux besoins
immédiats de la population, soumise à une campagne de bombardements extrêmement violente. Ces stocks ne
seront jamais complètement reconstitués par la suite. Les humanitaires dénoncent l’obstruction
du
passage
de l’aide par Israël - en février par exemple, le ministre
des finances Bezalel Smotrich, avait ainsi
bloqué un peu plus de mille conteneurs d’aide alimentaire dans le port israélien d’Ashdod.
La communauté internationale se contente de déclarations
qui ne sont pas suivies d’effets.
En mai 2024, les États-Unis ont construit une jetée flottante pour acheminer l’aide par la mer qui a coûté 230 millions de dollars - le port israélien d’Ashdod est à 38 km au nord de l’enclave. Elle n’a été en service qu’un mois et demi avant d’être démontée fin juin.
Le point de passage de Rafah sur la frontière avec l’Egypte, le seul qui n’était pas contrôlé par
Israël, est fermé depuis que l’armée israélienne s’en est emparé
le 7 mai 2024. C’était l’unique
point de
sortie pour les Gazaouis. Le passage,
négocié auprès d’une compagnie égyptienne proche du régime,
coûtait entre 4 500
et 6 000 euros pour un adulte, plus de 2 000 euros pour un enfant, une fortune
pour les Palestiniens coincés sous les bombes. Certains patients graves et ressortissants
binationaux ont également été évacués via Rafah, après un contrôle sécuritaire effectué par les
autorités israéliennes.
C’était aussi par Rafah que rentraient les travailleurs humanitaires étrangers
à Gaza.
Aujourd’hui,
ils doivent passer par la Jordanie puis Kerem Shalom
(Karem Abou Salem en arabe), le point de
passage israélien tout au sud de la bande
de Gaza. Les rotations sont plus restreintes - environ
une
vingtaine d’employés internationaux de MSF se relaient chaque mois. Ces rotations sont pourtant
essentielles, le personnel local étant épuisé.


Cette photo montre les premiers camions autorisés à entrer dans la bande
de Gaza via Rafah le 21
octobre 2023. Avant d’y parvenir, chaque camion est minutieusement inspecté par Israël à Nitzana ou
Kerem Shalom. En mai,
quand le terminal de Rafah a été fermé, Israël a rouvert deux points de
passage
dans le nord de la bande de Gaza, jusque-là largement coupé du monde.
Du 21 octobre 2023 à fin avril, selon les statistiques rapportées par l’ONU,
une moyenne de 113
camions d’aide humanitaire sont rentrés chaque jour à Gaza.
Un nombre tombé à 80 entre début mai -
après la fermeture de Rafah - et fin août.
La photographie, prise le 30 mai dernier, montre ainsi
des
camions égyptiens d’aide humanitaire qui entrent via l’autre point de passage dans le sud de la bande
de Gaza, Kerem Shalom.
Ces statistiques ne comprennent pas les chargements de carburant ni les camions du secteur privé
qu’Israël laisse parfois passer en priorité face à l’aide.
ONU et ONG estiment qu’il faudrait au
moins
500 camions par jour pour couvrir
les besoins essentiels de la population gazaouie.
A l’intérieur de la bande de Gaza, l’acheminement de l’aide est également compliqué. Au fur et à
mesure des pénuries, les camions ont été victimes de pillages.
L’armée israélienne a visé les
policiers palestiniens qui encadraient les chargements
- elle assimile ces fonctionnaires au Hamas
-
et a ainsi mis en péril la sécurisation
des convois. Dans le contexte gazaoui, où la guerre est
partout, les camions sont aussi difficiles à sécuriser car ils traversent des zones de combat actives.


Des Palestiniens accourent pour tenter de récupérer des colis largués par voie aérienne dans la ville
de Gaza, le 1er mars 2024. Face aux menaces grandissantes de famine, faute de volonté politique pour
obliger Israël à laisser entrer davantage d’aide, notamment dans le nord de la bande de Gaza, quelques
pays dont la France ont organisé des largages aériens à partir de la fin février 2024. Ce procédé,
humiliant pour les Gazaouis, est aussi dangereux : plusieurs personnes ont été tuées par un colis dont
le parachute n’a pas fonctionné ou se sont noyées en allant chercher les cartons d’aide tombés à la
mer.
Les largages aériens ne permettent pas de fournir le même volume d’aide humanitaire que le transport
terrestre - à peine quelques tonnes contre environ 20 tonnes pour un camion. Pour ne pas créer de
chaos supplémentaire et atteindre ceux qui en ont le plus besoin, les distributions doivent être
organisées et annoncées à l’avance. Il est important qu’elles soient opérées par des humanitaires
présents physiquement sur place, pour garder contact avec la population et évaluer les besoins in
situ.
Le 13 octobre 2023, l’armée israélienne a ordonné l’évacuation du nord
de la bande de Gaza et
coupé
l’enclave en deux. Le nord, dont la ville de Gaza,
la plus grande de l’enclave, est isolé depuis
des
mois. Deux axes le relient au sud :
la route Al Rashid, qui longe la mer, et la rue Salah Eddine
un
peu plus dans
les terres. L’armée y a placé des checkpoints et contrôle ceux qui fuient vers le
sud
via des systèmes de reconnaissance faciale. Des Gazaouis comme le poète Mosab Abu Toha rapportent que
les soldats donnent des ordres à certains déplacés via des haut-parleurs : « Le monsieur au T-shirt
rouge et aux lunettes, sur le côté » ! Ceux qui sont immobilisés sont fouillés, embarqués et
souvent
arrêtés. Certains, comme Mosab Abu Toha, finissent dans des camps de détention dont celui de Sde
Teiman, dans le Néguev en Israël, où de nombreux cas de tortures ont été signalés. Aucun passage n’est
possible pour les civils gazaouis du sud vers le nord ; une fois le centre de l’enclave franchi,
personne ne peut revenir en arrière. Ici, le 7 avril 2024, des Palestiniens ayant trouvé refuge à
Rafah, tout au sud, remontent vers Khan Younès, après le retrait des troupes israéliennes.

Pendant longtemps, le nord de Gaza, où vivraient encore quelque 300 000
personnes, a été coupé du monde. La situation en février 2024, lorsque ce témoignage a été
enregistré, y était catastrophique. Malgré quelques améliorations, les passages de l’aide
humanitaire du sud vers le nord de la bande de Gaza restent très compliqués. Selon le bureau de
la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, en juin 2024 par exemple, les autorités
israéliennes n’avaient facilité que 49% des missions d’aide humanitaire prévues dans le nord de
Gaza - les autres ayant été refusées ou avortées pour des raisons logistiques, opérationnelles
ou de sécurité.
Il y a une grande hypocrisie à parler des voies maritimes et des largages aériens.
Il ne s'agit pas du tout d'un problème logistique. Le vrai problème est politique.
Le gouvernement israélien refuse d'autoriser l'entrée de l'aide humanitaire
à Gaza.
Les camions d’aide à destination de Gaza doivent tous être approuvés
par le COGAT (“Coordination of
Government Activities in the Territories”), l’administration qui, au sein de l’armée israélienne, s’occupe
des affaires civiles des Palestiniens des Territoires occupés. Les Israéliens se réservent le droit de
refuser ce que les autorités qualifient d’équipements à “double usage”, c’est-à-dire qui pourraient servir
à des fins militaires.
Le COGAT a publié une liste de ce type d’objets, qui est régulièrement modifiée
selon des critères arbitraires. Entre novembre 2023
et janvier 2024, les générateurs et panneaux solaires
acheminés par MSF ont ainsi été systématiquement refoulés. Depuis, certains générateurs ont pu entrer. Les
stations de désalinisation et stérilisateurs font partie des équipements régulièrement rejetés.
Chaque organisation soumet d’abord au COGAT la liste des fournitures qu’elle veut acheminer à Gaza. Une
fois cette liste validée, le chargement est inspecté au point de passage. Parfois, malgré l’approbation
reçue
en amont, un équipement est refusé. Dans certains cas, c’est le camion entier qui doit faire
demi-tour.
Le 23 juillet, plusieurs articles d’un camion de MSF ont ainsi été rejetés
au point de passage de Kerem
Shalom (deux générateurs, deux rampes
de distribution d’eau, un stérilisateur et une boîte avec des
équipements médicaux). Tous ces équipements avaient pourtant été approuvés
par le COGAT. Mi-septembre, ce
camion était toujours bloqué en Egypte,
comme une quinzaine d’autres.
Ce mécanisme de contrôle des chargements d’aide humanitaire est long
et peu transparent. Il accentue la
congestion des points de passage,
pas assez nombreux pour laisser passer l’aide nécessaire.
Depuis juin
2024, les camions de MSF partis d’Egypte, mettent trois à quatre semaines en moyenne pour atteindre Gaza, par le
point de passage de Kerem Shalom.
La peur au ventre
La faim comme arme de guerre
Le 29 février, 118 Palestiniens sont tués et 760 autres blessés, selon
les
autorités sanitaires gazaouies, en attendant un convoi d’aide humanitaire dans le nord de Gaza.
L’armée israélienne a reconnu avoir tiré sur la foule mais affirme qu’une bousculade est à l’origine de la
majorité des décès. Une enquête de CNN contredit les éléments temporels avancés par les soldats
israéliens. Les autorités sanitaires locales ont rapporté de nombreux blessés par balles dans les hôpitaux
de l’enclave.
Un témoin raconte une version très différente de celle de l’armée, confirmée par d’autres Gazaouis
présents lors de ce qui est connu comme le « massacre de la farine ».

Un témoin raconte une version très différente de celle de l’armée, confirmée par d’autres Gazaouis présents lors de ce qui est connu comme le “massacre de la farine”.
Des amis m'ont dit que l'aide allait arriver ce jour-là [au rond-point
al-Nabulsi], comme ça avait été
le
cas la veille. Cela faisait deux mois qu'on n’avait pas eu de farine blanche.
Le sac [de 25 kg] qui valait 30 shekels [avant la guerre] coûtait 1 000 dollars. On n’avait pas les moyens de l'acheter.
On est arrivés tôt sur place, avant le crépuscule, avant que tout soit noir
et on s'est trouvé un endroit
près de la mer. On a allumé un feu car il faisait froid.
Les tirs ont commencé vers 4 heures du matin, au moment
où les camions [d'aide humanitaire] étaient sur le
point d'arriver. Ensuite,
les camions sont arrivés. Les tirs ont continué. J'ai vu des gens touchés par
balle à la tête, aux jambes, à l'abdomen. J’ai moi-même pris un éclat
de balle sous l’oeil.
On était sur une zone un peu surélevée et les chars étaient en bas.
Ils ont avancé vers nous.
C'était encore l'obscurité, personne n'y voyait rien. J'étais coincé. Je ne pouvais pas descendre sur la
plage,
car ils tiraient sur ceux qui étaient sur le sable. Sur la rue principale, il y avait des chars et
des snipers qui tiraient. Donc j'ai dû me résoudre à rester là où j’étais, malgré les chars. Je me suis
caché sous l'escalier.
Sept personnes qui se trouvaient à côté de moi ont été tuées.
Je suis resté une demi-heure sous l’escalier puis je me suis dit qu'il fallait que je sorte. J'ai senti
que
les tirs étaient un peu moins nourris. J'ai couru en direction du port [vers le nord].
En courant, je voyais les gens tomber autour de moi. C'était tellement irréel. C'est indescriptible.
Un garçon m'a dit : « je ne veux pas mourir, amène moi à l'hôpital ». J'ai voulu le porter et demander à
quelqu'un de m'aider ; il a rendu l'âme dans mes bras. J'ai dû le lâcher là, ça tirait de partout et je
devais m'enfuir. S'il avait encore une once de vie, je l'aurais amené avec moi et j'aurais fui avec lui.
Il
m'avait demandé de ne pas le laisser mourir là. Il avait 13 ou 14 ans je pense. Il y avait aussi un
père à
côté de son fils qui venait de mourir.
« Peut-être qu’il vit », pleurait-il. On a vérifié son pouls.
Rien.
A chaque fois [qu'il y a une distribution], il y a des tirs mais cette fois-là, c'était bien plus nourri.
Ca
a duré deux heures, de 4h30 du matin à 6h30 environ, sans interruption. Je me suis vu moi-même mourir.
J'ai
pensé
à mes filles et les avoir à l'esprit m'a peut-être aidé à garder la tête froide. Certains ne
pensaient
plus à la mort, tout ce qu'ils voulaient,
c'est récupérer un sac de farine. On était cinq amis, on a
réussi
à avoir
un sac de farine qu'on a divisé entre nous cinq. Chacun de nous a eu
5 kg de farine.
Plusieurs ONG, dont Human Rights Watch, ont accusé Israël d’utiliser
la faim comme arme contre la
population à Gaza. Israël a coupé l’approvisionnement en eau depuis octobre, l’électricité n’est pas
disponible pour faire fonctionner les petits postes de désalinisation.
Les terres agricoles, souvent
situées en lisière de l’enclave, ont été largement détruites. Beaucoup sont aujourd’hui incorporées dans
la zone tampon que l’armée israélienne a dessinée à l’intérieur de Gaza,
qui grignotait environ 16% du
territoire en mars dernier selon
les estimations du journal israélien Haaretz.

Des obus israéliens explosent dans le port de la ville de Gaza
le 11 octobre 2023. Le blocus instauré
par
Israël en 2007 avait déjà restreint
le secteur de la pêche dans l’enclave à un périmètre limité, et
l’armée
modifiait régulièrement les zones de pêche autorisées, n’hésitant pas à tirer sur
les embarcations qui
s’aventuraient trop loin. Le port de Gaza a depuis été largement détruit. Les Palestiniens qui
s’aventurent à pêcher pour nourrir
leurs familles sont aussi pris pour cible : l’ONU rapportait ainsi que
le 21 août 2024, dans deux zones différentes, cinq Gazaouis ont été tués en tentant de pêcher.
Selon le dernier rapport IPC, l’autorité mondiale en matière d’analyse
de la sécurité alimentaire et de la
nutrition, 22% de la population gazaouie fait face à un manque aigu de nourriture. Les familles boivent de
l’eau insalubre depuis des mois, certaines passent des jours sans manger.

En février, dans le nord de Gaza, certains membres du personnel de MSF racontaient avoir été contraints de manger de la nourriture pour animaux. Dans le sud, à la même époque, la majorité de population se nourrissait presque exclusivement d’aliments en conserve.
Des cas de malnutrition chez les enfants, phénomène inédit à Gaza,
ont été relevés dans tous les
centres
de santé MSF de l’enclave. L’ensemble de la population est impactée, à divers degrés. Une responsable des
activités médicales de MSF qui était à Gaza en avril a ainsi constaté que tous ses collègues
palestiniens
avaient perdu du poids, en moyenne 10 à 15 kg - la faim se combine au stress et au manque de
nourriture
saine.
Suhail Habib, superviseur de maintenance des véhicules pour MSF raconte les conditions de vie extrêmes dans la ville de Gaza : « Nous sommes obligés de manger de la nourriture pour animaux ». 5 mars 2024.
Pris pour cibles
Anéantissement du système de l'aide et des structures de santé

Témoignage du Dr Ahmed Moghrabi, chirurgien, décrivant des jours d'horreur
à l'hôpital Nasser, l'un des derniers hôpitaux à fournir des soins médicaux à Gaza.
Après une trêve de sept jours fin novembre,
les combats reprennent le 1er décembre. L’armée
israélienne
avance vers Khan Younès, grande ville du sud de Gaza d’où est originaire
Yahya Sinouar, le chef du
Hamas,
architecte des attaques du 7 octobre.
L’hôpital Nasser, le deuxième plus grand de l’enclave,
est
assiégé puis attaqué par l’armée israélienne. Elle affirme notamment y chercher des otages en vie
ou
leurs corps. Le personnel de MSF présent
dans une partie de l’hôpital a consigné les différentes
attaques et incidents - sans avoir de visibilité
sur l’ensemble des bâtiments de cet immense complexe.
La maternité de Nasser est ciblée. Une petite fille de 13 ans est tuée
et plusieurs autres
personnes blessées.
Bombardements violents autour
de Nasser après des ordres d’évacuation des blocs 64 et 112,
situés à proximité de l’hôpital.
Tir d’obus israélien sur un abri
où se trouvent plus de 100 membres
du personnel MSF et leurs
familles
à Khan Younès. La petite fille de l’un d’entre eux, âgée de cinq ans, est tuée.
« Le 15 janvier, vers 15 heures, une frappe aérienne a touché des camions en train de décharger
de la nourriture. Ils étaient à environ 150 mètres de l’hôpital. Le bruit était si fort que nous
en avons eu mal aux oreilles. Quelques minutes plus tard, beaucoup de personnes blessées sont
arrivées à Nasser, certaines étaient portées par des gens, à pied, d’autres dans des ambulances
ou des voitures privées. Au total, huit personnes ont été tuées, dont deux petits garçons de 4-5
ans, et 80 ont été blessées, dont 20 ont dû être opérées. Le lendemain matin, nous avons examiné
un petit garçon de 10 ans qui avait été blessé par le souffle de l’explosion, juste en
traversant la rue. »
Rapport de visite d’Aurélie Godard, responsable de l’équipe
médicale, et Léo Cans, chef de mission, à l’hôpital Nasser
L’hôpital Nasser est complètement encerclé par les troupes israéliennes. Bombardements violents et combats tout autour de l’hôpital.
Nouvel ordre d’évacuation israélien à Khan Younis qui englobe les hôpitaux Nasser, Al-Amal et l’hôpital jordanien. Nasser au coeur de violents combats, personne ne peut sortir, ni entrer. Toujours beaucoup de victimes, le bloc opératoire ne fonctionne pas.Le même jour, trois membres du personnel de MSF tentent d’évacuer l’hôpital sans y parvenir. Ils rapportent des tirs et des explosions tout autour de l’hôpital.
Les ambulances ne peuvent pas accéder à Nasser. Il reste trois jours de carburant.
« Les forces de défense israéliennes (FDI) sont en contact avec les directeurs d’hôpitaux et le
personnel médical, par téléphone et sur le terrain, pour s’assurer que les hôpitaux restent
opérationnels et accessibles. Les FDI ont fait savoir qu’il n’y avait aucune obligation
d’évacuer les hôpitaux. Au contraire, nous avons réitéré l’importance de sauvegarder et de
protéger ces hôpitaux (...). Les habitants de Gaza qui souhaitent quitter les hôpitaux Nasser et
Al-Amal, comme beaucoup ont choisi de le faire, peuvent passer par le couloir de la rue
Al-Bahar, située du côté ouest des hôpitaux. »
Déclaration des forces israéliennes à
propos des opérations militaires en cours à Khan Younis
Combats violents à Khan Younes, près de Nasser. L’hôpital est toujours en état de siège : environ 450 blessés, 300 personnels médicaux, 10 000 déplacés y sont coincés.
Nasser encerclé par des chars. Des snipers tirent en direction de l’hôpital. Un infirmier est blessé d’une balle dans la poitrine.
Nasser encerclé par des chars. Des snipers tirent en direction de l’hôpital. Un homme est tué à l’entrée de l’hôpital.
Ordre d’évacuation donné par l’armée israélienne aux personnes déplacées à l’intérieur de
l’hôpital Nasser. Il y a 402 patients à l’hôpital : 35 sous dialyse, 18 en soins intensifs,
trois en soins intensifs néonataux, trois ou quatre femmes ayant accouché et un peu moins de 200
sur des civières. Trois personnes ont été tuées, dix autres blessées à la suite de tirs
israéliens à l’intérieur du complexe médical.
Un bulldozer militaire israélien a détruit
le portail de l’entrée nord de l'hôpital, suivi d’un char. Les soldats sur place ont ordonné aux
personnes déplacées de sortir de l’hôpital. Un prisonnier palestinien menotté vêtu d’une
combinaison blanche a été par la suite envoyé par l’armée pour leur ordonner à nouveau
d’évacuer. Les images disponibles en ligne, reprises par plusieurs médias, montrent qu’il a
ensuite été exécuté.
Tir d’obus sur le service orthopédique, un mort et huit blessés. Les forces israéliennes sont entrées dans Nasser, elles ont détruit des équipements, des ambulances. Le personnel a commencé à évacuer l’hôpital au milieu de la nuit. Un collègue MSF a été arrêté par les forces israéliennes. [NDLR : Il a depuis été libéré.]
« Au moment où nous écrivons ce texte, le 15 février, les forces israéliennes seraient entrées
dans l’hôpital Nasser, à Khan Younes, notamment dans la maternité, selon le ministère de la
Santé à Gaza. L’armée israélienne affirme que le Hamas retient des otages à l’intérieur de
l’hôpital ou y détient les corps d’Israéliens. »
Flash update #119 du Bureau de la
coordination des affaires humanitaires (OCHA)
Cinq patients sont décédés faute de soins en raison du manque d’électricité. Les forces israéliennes ont arrêté 20 personnes.
Forces israéliennes toujours à l’intérieur de Nasser. Pas d’eau, pas de nourriture. Évacuation de 14 patients organisée par les Nations Unies et le Croissant Rouge Palestinien. Une équipe de l’OMS n’a pas été autorisée à rentrer dans l’hôpital pour évaluer l’état de santé des patients et les besoins médicaux urgents, bien qu’elle ait atteint l’enceinte pour livrer du carburant. Combats toujours en cours dans la zone autour de l’hôpital, les ambulances n’ont pas pu entrer dans l’enceinte, les patients sont transportés à pied.
Les forces israéliennes se sont retirées de l’hôpital Nasser. Évacuation de patients vers Deir el-Balah, Khan Younes et Rafah. Pas d’eau, pas d’électricité, pas de nourriture. Des déchets et des eaux usées partout.
120 patients toujours à l’intérieur. 70 membres du personnel de santé sont toujours détenus.
Le 23 avril, l’ONU réclame une enquête internationale après la découverte de fosses communes au sein de
l’ensemble hospitalier
de Nasser. Les équipes de secours ont déterré
392 corps, dont une
partie
seulement correspondent aux dépouilles de personnes tuées ou de patients décédés pendant l’assaut
>et qui
auraient été enterrées par le personnel soignant dans l’enceinte de l’hôpital alors assiégé.
Le récit de l’attaque de l’hôpital Nasser par trois membres du personnel
de MSF.

Sur les 36 hôpitaux que compte de la bande de Gaza, 19 sont
hors service. Plusieurs hôpitaux de
campagne
ont été ouverts,
mais ils ne sont qu’une solution par défaut, qui ne peut pallier la destruction du
système de santé.
Attaque israélienne début décembre 2023.
Huit patients sont morts pendant le siège,
dont un enfant de
neuf ans.
Selon des témoignages recueillis par la chaîne américaine CNN,
des dépouilles ont été écrasées par les
bulldozers israéliens dans la cour de l’hôpital. Environ
90 personnes ont été arrêtées, dont le
directeur
de l’hôpital. L’armée israélienne affirme avoir retrouvé des armes et des documents du Hamas
lors du raid.
Frappes à proximité de l’hôpital le 14 octobre, l’armée appelle à évacuer l’établissement mais certains
soignants décident de rester.
21 novembre 2023 : une frappe sur l’hôpital tue
le Dr Ahmad Al-Sahar et le Dr Mahmoud Abu Nujaila
qui
travaillaient pour MSF ainsi qu’un troisième médecin, le Dr Ziad Al-Tartari. Une enquête indépendante
serait nécessaire pour déterminer les responsabilités.
L’hôpital est attaqué
par l’armée israélienne du 5 au 23 décembre,
trois personnes sont tuées, douze
autres arrêtées.
L’armée assiège à nouveau Al-Awda puis y mène un raid en mai 2024, lors de l’offensive terrestre
israélienne dans le camp de réfugiés de Jabaliya où il se trouve.
Une frappe blesse quatre personnes et endommage l’hôpital le 14 octobre 2023.
Le 17 octobre, une explosion sur le parking de l’hôpital fait plusieurs centaines de morts selon le
ministère
de la santé. Les Israéliens accusent un tir raté
du Jihad islamique, force alliée du Hamas.
Les groupes armés palestiniens incriminent l’armée israélienne.
Les jours précédents, le directeur
de l’hôpital avait reçu des avertissements de l’armée israélienne.
Les responsabilités de cette explosion restent indéterminées en l’absence d’une enquête indépendante sur
place.
L’hôpital est à nouveau attaqué par l'armée israélienne le 18 décembre, plus de 20 membres du personnel
ont été arrêtés et six ont été libérés quelques jours après.
Après d’intenses bombardements dans la zone autour de l’hôpital, l’établissement, spécialisé dans le
traitement des patients atteints de cancer,
est évacué le 1er novembre 2023. Faute de carburant,
il ne
fonctionne plus.
L'armée israélienne a déclaré avoir découvert et détruit des tunnels sous l'hôpital fin février. Des
images satellites et des photos
ou vidéos postées par les soldats ont amené le journal Haaretz à
conclure que l’hôpital avait été transformé en base militaire par l’armée israélienne. Il est situé sur
le corridor de Netzarim, où l’armée a aménagé une route qui coupe
la bande de Gaza en deux.
Frappé par un bombardement le 8 décembre 2023.
Les 27 et 28 décembre, des tirs d’obus israéliens touchent
l’hôpital et ses environs. 41 personnes sont tuées (selon OCHA). Quelques jours plus tôt, un enfant de
13 ans a été tué par un drone
dans l’enceinte du siège du Croissant rouge palestinien qui est voisin de
l’hôpital.
Entre le 22 janvier
et le 22 février 2024, l’ONU a recensé 40 attaques
sur l’hôpital qui ont tué 25
personnes et largement détruit la structure.
Fin mars, l’armée israélienne force une nouvelle évacuation de l’hôpital.
Deux corps de personnes tuées
dans l’hôpital sont retrouvés. Le 26 mars, la fédération internationale des sociétés de la Croix-rouge
et du Croissant-rouge annonce la fermeture de l’hôpital en raison des hostilités autour et dans
l’établissement depuis plus de 40 jours.
Après plusieurs jours de siège, les troupes israéliennes envahissent l’hôpital Al Shifa, le plus
important de la bande de Gaza, le 15 novembre 2023 et ordonnent son évacuation. Israël affirme
qu’il abrite
un centre de commandement du Hamas, mais peine à présenter des preuves convaincantes selon la presse
internationale.
La mission de l’OMS qui finit par atteindre l’hôpital quelques jours plus tard parle
d’une « zone de mort ». Au moins 40 personnes dont huit bébés prématurés sont morts faute
d’électricité pour faire fonctionner les incubateurs et appareils de dialyse.
Une deuxième attaque majeure est menée par l’armée israélienne contre l’hôpital du 18 mars au 1er avril 2024; 21 patients sont morts et au moins 500 personnes ont été arrêtées. Al Shifa est en grande partie
laissé en ruine. Des fosses communes avec des dizaines de corps ont été découvertes dans la cour de
l’hôpital.

Le siège de l’UNRWA dans la ville de Gaza le 12 juillet, après le retrait des troupes israéliennes de la zone.
Isabelle Defourny, présidente de MSF
Quelles sont les principales difficultés auxquelles
sont confrontés les soignants et les équipes de MSF
?
Le plus difficile est de travailler dans un environnement extrêmement dangereux, où la situation évolue
très rapidement, avec des combats,
des ordres d’évacuation et des bombardements souvent indiscriminés.
Habituellement dans les zones de conflit, les structures de soins sont
à l’arrière des lignes de front. Ce
n’est pas le cas à Gaza. Les hôpitaux,
qui sont censés être des sanctuaires, sont pour l’armée
israélienne
des lieux parmi d’autres où se joue son objectif d’éradication du Hamas.
A 14 reprises en moins d’un an, nos équipes - et les patients qui le pouvaient - ont dû quitter des structures de santé.
Notre équipe a été témoin de bombardements, de tirs à l’arme lourde
et d’offensives au sol sur des
hôpitaux. Les mouvements des équipes
sont également très dangereux. Les ONG internationales peuvent notifier
aux autorités israéliennes les coordonnées des structures où leur personnel se trouve, ainsi que leurs
déplacements. Mais ce système dit de
« déconfliction » ne fonctionne pas. De nombreux convois humanitaires
ont été visés par des tirs israéliens, parfois avec des conséquences fatales comme en novembre 2023 quand
un convoi de MSF a été attaqué,
ou en avril 2024 quand sept volontaires de World Central Kitchen ont été
tués par un missile israélien. Des abris de MSF ont également été visés par des tirs d’obus. Nous n’avons
jamais reçu d’explications officielles
sur ces attaques. L’armée israélienne les a parfois présentées
comme
des incidents, mais le problème, ce sont les règles d'engagement des soldats israéliens à Gaza,
permissives jusqu’à la désinvolture. À cela s’ajoutent les problèmes d’accès et d’approvisionnement :
malgré les déclarations des autorités israéliennes, les obstacles au déploiement de l’aide, qu’Israël
justifie par des impératifs sécuritaires, sont nombreux et privent la population d’une assistance vitale.

Les assauts sur les hôpitaux sont justifiés par l’armée
israélienne par la
nécessité de démanteler les
infrastructures militaires
du Hamas et de libérer les otages israéliens. Que voient et rapportent les
équipes MSF ?
Le statut protégé des hôpitaux oblige l’assaillant à justifier de façon très solide la perte de leur
neutralité avant de les attaquer ou de les détruire. Or, à Gaza nous assistons à une inversion de la
charge de la preuve :
les soignants et les humanitaires sont sommés de démontrer qu’ils n’ont pas
d’informations quant à la présence de bases militaires ou à la détention d’otages dans les hôpitaux.
Il faut rappeler que les équipes MSF n’interviennent que dans certains services ou bâtiments de complexes
hospitaliers souvent très vastes, comme Al-Shifa ou Nasser. Mais si de telles informations étaient portées
à notre connaissance, nous ne maintiendrions pas notre présence dans
ces hôpitaux, car cela mettrait
évidemment en danger nos propres équipes.
Seule une enquête indépendante serait en mesure de confirmer
les affirmations des autorités israéliennes.
Or elles s’y opposent,
tout en insinuant que le personnel de santé et les humanitaires sont au mieux des
témoins silencieux, voire des complices du Hamas. Cette assimilation les expose singulièrement au danger :
plus de 300 travailleurs humanitaires ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Des
membres du personnel
médical et humanitaire ont aussi été intimidés, détenus, humiliés, torturés.
Cette rhétorique légitime la mise à terre du système de santé. Elle a également été le support d’une
violente campagne contre l’UNRWA, principal pourvoyeur de l’aide humanitaire aux Gazaouis. Des accusations
d’actes criminels ont été portées contre des membres de l’UNRWA,
sans que des preuves formelles aient été
apportées, qui ont provoqué
une réduction voire l’arrêt des financements de la part de certains États.
Les
travailleurs humanitaires ont un devoir d’impartialité et tout acte criminel doit faire l’objet d’enquêtes
indépendantes et de sanctions le cas échéant. Mais l’instrumentalisation d’incidents isolés qui vise à
décrédibiliser les acteurs humanitaires et qui les met en danger doit cesser.

Pourquoi rester à Gaza dans ces conditions extrêmes,
sans garantie
de sécurité pour votre personnel ?
Déployer des secours et envoyer des équipes internationales dans
une situation aussi extrême ne va pas de
soi. Nous n’avons pas beaucoup
de situations comparables dans l’histoire de MSF. Et nous réévaluons
la
situation au jour le jour. Mais 400 employés palestiniens de MSF
sont coincés à Gaza, et depuis la
fermeture totale du point de passage
de Rafah en mai 2024, ils n’ont aucune possibilité de sortir.
Beaucoup
d’entre eux ont choisi de continuer à se rendre dans les hôpitaux tous les jours, pour soigner,
malgré le danger et des situations personnelles très difficiles. Les soutenir est un impératif. Les
équipes médicales à Gaza réalisent tous les jours des exploits qui peuvent paraître dérisoires au regard
du carnage qui s’y déroule depuis un an, mais qui rend service à de nombreuses personnes.
L’accès à Gaza étant interdit aux journalistes internationaux, le terrain est propice à la désinformation
et la propagande. Le choix de travailler à Gaza s’accompagne donc pour nous, plus
que jamais, du devoir de témoigner. Cela nous vaut – comme aux autres rares témoins sur place –
des critiques, des procès
en partialité ou en complaisance, et des pressions, qui ont pris parfois la forme de menaces et
d’intimidations.
Aucun objectif militaire ne justifie les bombardements aveugles
et l’annihilation de la vie civile à Gaza.
Dans son ordonnance de janvier 2024, la Cour internationale de justice a évoqué un risque plausible de
génocide en relation aux actions israéliennes à Gaza, et imposé des mesures conservatoires. Depuis, les
autorités israéliennes n’ont rien fait pour que le sort de la population s’améliore - au contraire, la
destruction et les ordres d’évacuation se sont accélérés, et le point de frontière de Rafah n’est plus
accessible aux humanitaires et à la population. Malgré cela, les gouvernements occidentaux apportent
toujours leur soutien inconditionnel au gouvernement israélien. C’est sans doute cette complicité des pays
occidentaux, et le mépris de la souffrance de la population de Gaza, qui sont le plus choquants.
Principales attaques contre les travailleurs humanitaires
Des tiers de la marine israélienne ont touché et endommage un pavillon où sont logés les employés de l'UNRWA sur la côte à Rafah, sans faire de blessés.
Une frappe israélienne sur les locaux du Croissant rouge palestinien, juste à coté de l'hôpital al-Amal, tue cinq personnes, des déplacés, dont un enfant de cinq ans. L'insigne de l'organisation était clairement dessinée sur le toit du bâtiment touché.
Six Palestiniens sont tués dans un bombardement sur une ambulance siglée à Deir al-Balah : quatre secouristes du Croissant rouge palestinien et les deux patiens qu'ils transportaient. L'organisation attribue la frappe à l'armée israélienne.
Un convoi de l'UNRWA - dix camions et deux véhicules blindés clairement identifiés - est visé par des tiers de la marine israélienne alors qu'il attendait pour passer dans le nord de Gaza. L'attque n'a fait aucun blessé. Le trajet avait été préalablement coordonné avec l'armée israélienne.
Au cours d'une opération militaire à Al Mawasi, un char israélien tire sur une maison abritant des employés de MSF et leurs familles. Cette attaque a tué deux personnes et blessé six autres. Le bâtiment était clairement identifié avec le logo de MSF. Aucun ordre d'évacuation n'a été émis avant l'attaque.
Sept employés de l'ONG américaine World Central Kitchen - six étrangers et le chauffeur palestinien - sont tués lors de l'attaque de leur convoi par des drones israéliens à Deir al-Balah. L'armée israélienne a reconnu une "grave erreur" et renvoyé deux hauts gradés après l'attaque. Le trajet du convoi avait pourtant été coordonné à l'avance et les véhicules étaient clairement identifiés avec le logo de l'organisation. Selon le journal israélien Haaretz, trois missiles ont été tirés en quelques minutes. Après la première frappe, le groupe d'humanitaires s'et réfugié dans un véhicule qui a été visé à son tour. Blessés, ils ont tenté de se protéger dans le dernier véhicule mais ont été tués par une troisième frappe.
Le bureau du Comité international de la Croix-Rouge à Gaza, dans la zone al-Mawasi, est endommagé par des tirs "de gros calibre" qui tuent 22 personnes et en blessent 45 autres parmi les déplacés qui sont installés autour. L'armée ni avoir mené une attaque directe contre le bâtiment de l'organisation mais ouvre une enquête.
Le siège de l'UNRWA à Gaza ville est largement détruit. L'attaque aurait eu lieu entre le 8 et
le 12 juillet, l'armée israélienne affirme y avoir affronté des combattants palestiniens et y
avoir découvert des armes.
L'organisation onusienne a demandé une enquête, elle avait
quitté les lieux le 12 octobre 2023 après d'intenses bombardements. Le 8 juillet, douze déplacés
et trois gardes ont été blessés dans une frappe aériene ciblant une salle du bâtiment.
Une équipe du Programme alimentaire mondial (PAM) est la cible de tiers à quelques mètres d'un checkpoint de l'armée israélienne après avoir escorté un convoi d'aide humanitaire. Personne n'est blessé, les véhicules blindés ont reçu au moins dix balles. Le trajet de l'équipe avaient été coordonné avec l'armée israélienne.
Le 18 novembre 2023, après plusieurs jours coincés dans la clinique MSF au milieu d’intenses combats dans
la ville de Gaza, des employés MSF
et leurs familles - plusieurs dizaines de personnes - ont enfin
l’autorisation d’évacuer vers le sud. L’organisation a informé les deux parties au conflit de ce
mouvement. Le convoi de cinq voitures, toutes portant le logo MSF, emprunte l’itinéraire indiqué par
l’armée israélienne. Il reste bloqué
au checkpoint séparant le nord du sud de Gaza plusieurs heures.
Les
employés entendent des coups de feu. Ils décident alors de rentrer, avertissent l’organisation pour
coordonner leur retour à la clinique
de Gaza ville.
Sur le chemin du retour, entre 15h30 et 16h, heure locale, le convoi
a été attaqué dans la rue Al-Wahida,
à proximité du bureau de MSF.
Deux des voitures de l’organisation ont été délibérément visées, tuant un
infirmier volontaire qui travaillait aux côtés des équipes MSF et blessant un membre de la famille d'un
autre employé qui meurt de ses blessures
le 22 novembre. Tous les éléments recueillis par MSF
pointent
vers la responsabilité de l’armée israélienne dans cette attaque.
Deux jours plus tard, le 20 novembre, les cinq véhicules MSF sont détruits et la clinique où le personnel
a de nouveau trouvé refuge subit de larges dégâts. Les tirs de l’armée israélienne ont visé les locaux de
MSF.
La destruction des cinq véhicules de MSF annihile également des preuves potentielles pour une enquête
indépendante sur l’attaque du 18 novembre.
Le personnel et les membres de leurs familles qui ont vécu cette épreuve ont été bloqués dans les locaux
de MSF au milieu de violents combats, sans électricité et avec un accès limité à la nourriture et à l’eau,
pendant près de deux semaines. Une autre tentative d’évacuation a été avortée après la destruction d’un
des minibus de MSF venu les chercher.
Le groupe a finalement pu être évacué vers le sud de la bande de Gaza le 24 novembre.
Soumoud


Le 20 octobre 2023, alors qu’Israël ordonne l’évacuation de l’hôpital Al Awda,
dans le nord de la bande de
Gaza, des soignants palestiniens décident de rester
avec leurs patients, malgré le danger. Parmi eux, un
médecin de MSF, le Dr Mahmoud Abu Nujaila, trace alors ces mots sur le tableau de service, sorte de
testament : Whoever stays until the end will tell the story. We did what we could. *Remember us* qui être
traduit ainsi : « Celui qui restera jusqu’à la fin racontera notre histoire. On a fait ce qu’on a pu.
Souvenez-vous de nous ». Il est tué un mois plus tard, le 21 novembre
Le 23 octobre 2023, alors que l’hôpital Al-Awda est assiégé, des soignants se filment en train de chanter - ils protestent contre l’évacuation de l’établissement ordonnée par l’armée. La chanson a été écrite par un docteur libyen pour l’obtention de son diplôme à Benghazi en 2005.
« Nous resterons ici
Afin que la douleur disparaisse
Nous vivrons ici
La mélodie sera plus douce
Levons-nous tous
Avec les médicaments et la plume
Nous éprouvons de la compassion envers ceux qui luttent
contre la maladie
Continuons d'avancer vers des buts plus importants
Nous serons la meilleure nation parmi les nations
Nous resterons ici
Afin que la douleur disparaisse
Nous vivrons ici
La mélodie sera plus douce »

Le 17 avril 2024, le journaliste gazaoui Osama Al-Kahlout poste une courte vidéo de 40 secondes tournée sur une
plage de Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, sur son compte Instagram. On y voit une foule, jeune, dans
l’eau
et qui s’amuse sur la plage. Ce jour-là, il fait plus de 32°C. Un plan large de la vidéo montre les
tentes des déplacés qui grignotent le sable, non loin des baigneurs. Sous la toile, la chaleur est
intenable. Depuis des mois, les Gazaouis font la vaisselle ou leur lessive dans la mer, faute de mieux. Pour
eux, la plage a toujours été un refuge. Beaucoup y allaient avant le 7 octobre 2023, pendant le blocus : la
Méditerranée représentait un horizon, loin des appartements étriqués, surpeuplés, des coupures
d’électricité…
La vidéo a suscité de nombreux commentaires en Israël : journalistes
et ministres y ont vu la preuve que
l’armée israélienne n’allait pas assez loin dans son offensive sur l’enclave. En France aussi, elle a été
relayée avec
des commentaires ironiques et utilisée pour nier l’atrocité des attaques israéliennes
quotidiennes contre les Gazaouis.
Certains Palestiniens l’ont postée, au contraire, comme un symbole de leur amour pour la vie.

Notion difficile à traduire, le Soumoud est une manière d’être, entre résistance et résignation. Le terme
apparaît dans le lexique lié à la Palestine à la fin des années 70. Il exprime le fait de
“tenir bon” afin
de maintenir une présence sur le sol palestinien.
Pour les Palestiniens, le soumoud est une pratique
politique
du quotidien : il s’agit de défendre leur cause à travers des actions
de tous les jours,
individuelles ou collectives.
Soumoud ne signifie pas seulement
la résilience psychologique, cela englobe l’action politique pour rester enraciné là où l'on est. Et cela ne signifie pas que l'on n'a pas
de douleur. Si vous êtes une femme, donner naissance à un enfant ne signifie pas que vous souffrez ou que vous êtes heureuse d'avoir un enfant. Vous pouvez souffrir et être heureuse d'avoir un enfant. Il peut y avoir une combinaison des deux.
Cette exposition est dédiée aux membres du personnel de MSF
et à leurs proches tués depuis le début de
l’offensive israélienne
ainsi qu’à tous les Palestiniens qui témoignent parfois au péril de leur vie.
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